Echanges avec Eric Le Roy, légataire de Yannick Bellon. Auteur d’ouvrages sur le cinéma français, notamment « Denise Bellon, monographie », il a suivi la restauration et la numérisation des films de Yannick Bellon et organise des rétrospectives de son œuvre dans les Festivals et à la Cinémathèque.
Modérateur : William Souny de Ciné Bambule
France 1977 116 mn
Scénario : Yannick Bellon Photographie : Pierre-William Glenn
Avec : Nathalie Nell, Alain Fourès, Michèle Simonnet, Pierre Arditi, Daniel Auteuil…
Synopsis : Un soir, sur une route, près de Grenoble, quatre hommes en voiture interpellent une jeune infirmière qui circule à vélomoteur. Ils la font monter de force avec eux, l’emmènent dans un bois, l’obligent à se déshabiller et la violent.
Présentation Yannick Bellon (1924-2019) par Eric Le Roy :
"Yannick a découvert et appris le cinéma par ceux qui l’ont fait : en allant à la cinémathèque française, puis dans les salles, ce qu’elle a fait, inlassablement, toute sa vie, refusant toute étiquette, toute école, tout clan, suivant une route qu’elle s’est tracée, aidée et soutenue par la famille ou des amis, toujours en toute indépendance. Elevée dans un univers dans lequel le goût partagé pour l’image et la politique rapprochait sa mère, la photographe Denise Bellon et son oncle Jacques Brunius, le surréalisme, passion commune, a inspiré le fil de sa vie.
Le cinéma de Yannick Bellon est marqué des traces du passé, souvent associé à la destruction et à la reconstruction de villes mais avant tout de personnages féminins qui, à un moment donné, se révoltent et prennent leur destin en mains. Dans tous ses films, Yannick porte un même regard lucide et tendre sur ces êtres humains qui tracent leur chemin dans le refus de la soumission et la reconquête de leur dignité. En ce sens, on peut parler d’une cinéaste humaniste et profondément engagée. Mais on ne saurait négliger son apport cinématographique aux formes multiples, imprégné de l’art du documentaire, un cinéma traversé par une poésie et une musicalité uniques."
« J’ai traité certains aspects de la réalité féminine parce que je me sens complètement concernée par la condition des femmes et leurs luttes quotidiennes, et parce que je suis évidemment pour une égalité totale entre les hommes et les femmes… Mais cela ne signifie pas que cette préoccupation ait une place exclusive dans mon cinéma. Faire des films, pour moi, c’est exprimer des émotions, c’est être au cœur même de la vie. » Yannick Bellon
Avis critiques :
– « L’Amour violé est, évidemment, un film à thèse. Ce sujet, André Cayatte aurait pu le traiter. Il est bon qu’une femme cinéaste ait pris, en ce cas, le contrôle de l’image et de la parole. Un homme, si compréhensif et bien intentionné soit-il, est incapable de saisir profondément les réactions psychologiques, le bouleversement moral résultant d’un rapport sexuel obtenu sans consentement réel (contrairement à la légende un peu grivoise qui est l’alibi masculin) et sans plaisir.
La mise en scène de Yannick Bellon s’exerce donc sur ces réactions, ce bouleversement, par des notations extrêmement sensibles : la honte, l’accablement, la peur des autres que ressent Nicole lorsqu’il lui faut reprendre sa vie quotidienne après le viol. Attitude attentive d’une amie et incompréhension de la mère (l’autre génération féminine) donnent aussi une idée exacte d’un entourage socio-familial. Nous avons là le récit synthétique et offert en exemple de ce que peut être une expérience vécue de ce genre. Le traumatisme, puis le besoin de lutter, d’éclairer l’opinion, sont admirablement traduits par l’interprétation de Nathalie Nell. Celle-ci a eu le courage de supporter l’épreuve du tournage devant toute une équipe technique ; elle fait ressentir cette représentation fictive d’un viol comme une réalité dont elle éclaire, ensuite, le sens profond... »
Jacques Siclier (Le Monde 14 janvier 1978)
– « Un (bon) film à thèse qui démonte, finement, patiemment, clairement, le mécanisme qui peut conduire au viol des hommes réputés bons maris et bons pères et qui pousse ensuite la femme violée à se taire… Yannick Bellon déchire en douceur mais inexorablement, le manteau de silence dont la société recouvre les drames qu’elle a elle-même engendrés. »
Claude-Marie Tremois (Télérama)
– « Dans le film de Yannick Bellon des choses vraies sont dites, et toujours bonnes à dire : que le viol est la brutale apogée d’une violence quotidienne faite aux femmes, que les violeurs sont des gens « normaux », qu’une femme violée ressent souvent honte et désir de mort. Il nous est aussi conté comment dans un couple une machine à laver peut s’échanger contre des ébats amoureux, comment s’inscrivent dans la tête des petits enfants les rôles différenciés de papa et maman, comment l’armée fabrique des hommes…Tout cela sonne juste et pourtant je n’ai pas aimé le film de Yannick Bellon ! Film de femme, regard de femme sur le viol, j’ai envie de dire que c’est louable avec tout ce que la vertu peut enlever souvent à la séduction dans le cinéma à (bon) thème, et (valable) thèse, dit « engagé »…J’ai trouvé ce très véridique récit un peu plat et linéaire dans son évidente volonté démonstrative et pédagogique. La qualité de la photo réalisée par Georges Barsky et Pierre William-Glen n’a pu suffire à me faire changer d’avis, le jeu, pas toujours convaincant, de Nathalie Nell et Alain Fourès moins encore. Mais je ne me sens guère en position ni en droit de juger de l’éventuelle efficacité de ce film. »
« Histoires d’Elles » No 3 1978