Scénario : Med Hondo, Ali Abdoul War
Adapté du roman "Sarraounia" d’Abdoulaye Mamani.
Interprètes : Aï Keita, Jean Roger Milo, Feodor Atkine…
Burkina Faso 1986 1h56 Ciné Archives
Figure extrêmement célèbre au Niger, la reine Sarraounia Mangou qui s’opposa à la sinistre colonne Voulet-Chamoine et réussit à la tenir en échec, symbolise pour les Nigériens leur combat contre les impérialismes, et la rangent parmi les souveraines militantes et intrépides apparues dans d’autres contrées d’Afrique comme la reine guerrière Amina de Kano au Nigeria, la princesse Yennenga au Burkina Faso ou la reine Pokou en Côte d’Ivoire, des figures qui ont marqué l’histoire précoloniale.
Oubliée par les historiens, elle a été popularisée par la fiction et le cinéma qui se sont appuyés sur la tradition orale pour faire de ce personnage de reine guerrière engagée dans la défense de sa terre, un élément majeur du récit national nigérien. Aujourd’hui, des écoles portent son nom. La station de radio Sarraounia est l’une des plus écoutées, et la banque « Sarraounia Finance » ne prête qu’aux femmes…
Cette écriture anticoloniale de l’histoire est célébrée par « Sarraounia », sorti en 1986, qui obtient le premier prix du Fespaco, au Burkina Faso, en 1987…
Le film devait originellement se dérouler au Niger, et des repérages avaient déjà été effectués, mais les moyens financiers promis ne furent jamais débloqués. C’est finalement Thomas Sankara qui accueille le film au Burkina Faso. Fou de rage par ce revers financier, Med Hondo décide de faire de Sarraounia une héroïne proprement panafricaine, éliminant toute référence au Niger, à tel point que l’héroïne parle moré et non pas haoussa. Ce jeu avec l’histoire est en fait l’une des causes du succès du film : Sarraounia incarne en effet la résistance panafricaine, portée par une jeune femme d’envergure, combattante, libre, meneuse d’hommes, contre des forces coloniales tyranniques et assoiffées de conquêtes.
Le film fut un échec commercial et causa la faillite de la société de production et de diffusion créée par Med Hondo, « Films Ô ». Pour autant, il reste l’un des chefs d’œuvre du cinéaste qui, toute sa vie, s’est attaché à montrer qu’« il n’y a pas de solution individuelle à un problème collectif » : c’est bien cette résistance collective et panafricaine que dépeint « Sarraounia ».
Elara Bertho, « Med Hondo, une voix anticoloniale », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique
Med Hondo
(1936-2019)
« Il n’y a que nous pour nous battre pour nous »
Né en 1936 en Mauritanie, descendant d’une famille d’esclaves affranchis, Med Hondo arrive à Marseille en 1958. Là commence une vie de petits boulots, une prise de conscience politique et le développement d’une passion pour l’art dramatique et le cinéma. Il réalise au cours de sa carrière 3 courts métrages et 10 longs métrages.
"Porteur d’une voix résolument postcoloniale, Med Hondo fut, tout au long de sa carrière de réalisateur, un farouche militant en faveur de la liberté des peuples. Produire des héros pour réécrire l’histoire coloniale, et ce du point de vue des vaincus, fut une entreprise qu’il continua toute sa vie. En France, il fut surtout connu pour sa longue pratique du doublage d’acteurs afro-américains ou de films d’animations…Il faut plaider aujourd’hui pour la redécouverte de son œuvre cinématographique, pour sa restauration et pour sa diffusion. C’est cette « voix » anticoloniale qu’il faut entendre de nouveau aujourd’hui."
Elara Bertho, Cahiers d’histoire.
Compléments historiques
En langue haoussa, « Sarraounia » signifie « reine ». Le terme désigne le titre attribué à la chef politique et religieuse de la communauté. Il s’agit d’un titre héréditaire dont l’origine remonte vraisemblablement au XVIIe siècle. Chez les Haoussa, certaines communautés ont souvent eu des femmes pour chefs…
Sarrraounia Mangou est sans doute la plus célèbre des Sarraounia. On apprend dans la biographie de Mamani qu’orpheline dès sa prime enfance, Sarraounia Mangou n’était guère une femme ordinaire. Nourrie de lait de jument et initiée très tôt par un ami de son père aux mystères des forces occultes à l’œuvre dans le monde, elle était devenue une sorcière et magicienne, doublée d’une redoutable guerrière amazone…Son nom reste étroitement lié à la résistance féroce opposée par les Azna à l’avancée de la colonne militaire Voulet-Chanoine dépêchée par la France en janvier 1899 pour conquérir la région du lac Tchad. Nommée d’après les deux officiers coloniaux, les capitaines Paul Voulet (33 ans) et Julien Chanoine (29 ans) chargés de conduire cette expédition militaire, la mission fut particulièrement meurtrière. Elle dévasta des dizaines de villages sur son passage, entre Saint-Louis du Sénégal d’où la mission est partie et Zinder au Niger…
Bientôt les Français se trouvent aux portes de Lougou. Contrairement à ses voisins musulmans qui collaborent avec les envahisseurs, le peuple azna avec à sa tête Sarraounia Mangou refuse de céder aux envahisseurs. Ils résistent, mais n’ont pour seules armes que leurs arcs primitifs, leurs fétiches et leurs gris-gris. Les archers de Sarraounia réussissent à tuer plusieurs tirailleurs, mais ne peuvent résister longtemps à des ennemis armés de fusils et de canons. Le 15 avril 1899, les soldats français s’emparent de Lougou que les Azna abandonnent pour ne pas se faire massacrer, mais ils poursuivent le combat, harcelant leurs ennemis à partir de la forêt où ils se sont cachés. Leurs flèches empoisonnées et la réputation de sorcière de leur reine sèment la zizanie dans le camp des Français qui voient leurs mercenaires africains déserter, se sentant menacés par les forces occultes.
Les officiers Voulet-Chanoine sont rattrapés à leur tour par leur terrible réputation, avec à leur trousse un délégué envoyé par la France pour prendre le commandement de la mission. Le duo fait tirer sur l’envoyé, avant de tomber eux-mêmes sous les balles des tirailleurs…
Etrangement, les Archives nationales d’outre-mer de la France ni celles du ministère de la Guerre n’évoquent le nom de Sarraounia. La bataille de Lougou est passée sous silence dans les documents historiques. Les archives consultées par des chercheurs révèlent seulement que la mission Voulet-Chanoine dut faire face à l’hostilité des villageois de Lougou (nommément cité dans les documents déposés) ainsi que les bourgades avoisinant Lougou et que « leur résistance acharnée coûta à la Mission 7 000 cartouches, 4 tués et 6 blessés ». Preuve sans doute que les combats furent violents, et pourtant les documents ne parlent ni de « bataille », ni de « Sarraounia »…
Selon certains récits, la reine prit le maquis avec les autres guerriers de son royaume et continua de harceler le vainqueur le poussant à partir. Une autre version suggère que, prise au piège dans son palais encerclé par l’ennemi, la reine guerrière tourne en rond pendant des journées entières. Puis un jour, les portes du palais se sont ouvertes. Les témoins jurent d’avoir vu alors une panthère noire comme la nuit surgir du fond de la forteresse, sauter par-dessus les remparts avant de disparaître dans la forêt avoisinante.