Présentation/Débat : Federico Rossin, critique et historien du cinéma
Scénario et dialogues : Guy Gilles
France 68 minutes Date de sortie : 7 février 1968
Avec : Macha Méril, Patrick Jouané, Bernard Verley, Orane Demazis…
Jeanne aime Jean, jeune homme tourmenté qui ne cesse de fuir le bonheur. Un jour il disparaît et est retrouvé mort quelque temps plus tard dans la banlieue de Lyon. Jeanne n’en saura rien et continuera à vivre dans l’ombre de leur amour.
A la sortie du « Pan coupé », Guy Gilles déclarait : « Se suicider serait s’avouer vaincu. Jean, au contraire, vit son idéal jusqu’au bout, sans jamais le trahir. Il meurt épuisé, au milieu d’un jardin, comme une fleur privée d’eau qui se refermerait brusquement sans que personne puisse rien faire »
« C’est un film selon mon cœur, un film où la mémoire affective et la nostalgie s’échappent sans retenue, et n’obéissent à aucun parti-pris formel. Je fais des films comme on écrit des vers, comme on se sert des pinceaux. « Au pan coupé » ne s’adresse à mon avis qu’à la sensibilité. C’est un film rêvé, écrit et réalisé à rebours de toutes les modes. A mes risques et périls, je suis pour ce cinéma subjectif, où la sincérité et l’émotion l’emportent sur « ce qui se fait », sur ce que l’on commente dans les très érudites dissertations sur le « nouveau cinéma »
« C’est peu dire que la méconnaissance et l’oubli de son œuvre ont été de mise : mal ou pas distribués, interrompus en cours de tournage ou purement et simplement inachevés, ses films se sont faits et défaits au prix d’âpres luttes. Objets poétiques déroutants, inclassables, témoins d’une sensibilité à fleur de peau et d’une écriture cinématographique unique, ils n’ont jamais eu de reconnaissance critique et publique. »
Présentation de la rétrospective Guy Gilles au 31ème Festival International de La Rochelle (2003) par Gaël Lépingle
Des points de vue :
*Henri Chapier Combat, vendredi 9 février 1968 :
"Au Pan Coupé est un poème onirique sur le thème de la soif d’absolu et de l’impossible pureté de l’adolescence : un cri romantique à peine retenu par un lyrisme en demi-teintes, écriture pudique que Guy Gilles préfère aux chocs visuels et au "brio" technique qui sont les constantes d’un certain "nouveau cinéma". Ici jamais d’hyperboles. Jamais de théorie : à la simplicité des dialogues correspond une parfaite sobriété des prises de vue…En résumant son film, Guy Gilles déclarait que c’était "l’histoire de Jeanne qui aime Jean lequel ne cesse de fuir la vie, fasciné qu’il est par la mort". Il expliquait encore que son héros avait en commun avec d’autres adolescents un côté démuni devant la vie, une difficulté d’être, de s’exprimer, et d’agir, en un mot une façon d’être mal dans sa peau...Le cinéma selon Guy Gilles ne remet peut-être pas en question la physionomie du monde, mais il ébranle la sensibilité, et invite au retour sur soi, et aux songes. N’est-ce pas là une assez belle prouesse ?"
*Marguerite Duras :
« Au pan coupé de Guy Gilles est le film d’un amour. L’amour a été interrompu par le départ, la mort. Il est vécu à partir du déchiffrage obsessionnel du passé. Ce passé a été bref, il est maintenant opaque et inépuisable comme un crime. Ici, enfin, l’amour n’est pas montré à partir de l’étreinte-dans-le-lit-d’ hôtel. Son évocation par le visage − visage d’une femme cinquante fois répété, à une ombre près, un regard, un crispement sous le harcèlement de la blessure − est tout simplement admirable. Non, cela n’avait jamais encore été fait au cinéma »
Guy Gilles est né en 1938 à Alger. Il s’inscrit aux Beaux-Arts mais sa passion pour les actrices le conduit à réaliser, dès 1956, deux courts métrages. Il devient l’assistant de Jacques Demy et de François Reichenbach. Il est successivement assistant-réalisateur, opérateur, monteur, expérimentant tous les postes liés à la réalisation. Il a réalisé 9 longs métrages de fiction et de nombreux courts métrages et documentaires, tournés pour le cinéma et la télévision. Il meurt le 3 février 1996 à l’âge de 57 ans.