URSS 1929 93mn
Avec : Elena Kuzmina Piotr Sobolevski David Gutman Sergueï Guerassimov…
Musique originale : Dimitri Chostakovitch
Présentation/débat : Federico Rossin*1, critique de cinéma, Gaëlle Théry, pianiste*2, Dominique Danthieux, historien.
*1 FedericoRossin est aussi historien du cinéma, programmateur indépendant dans de nombreux festivals en France et en Europe. Il est actuellement en résidence d’auteur à Peuple et Culture 19 pour l’écriture d’un ouvrage sur les formes du cinéma documentaire commandé par Actes Sud
*2 Gaëlle Théry sera au Théâtre Expression 7 le samedi 9 décembre à 18h pour nous offrir un voyage musical : « En route vers le ragtime ».
Synopsis :
En 1870, la population acclame les soldats qui partent se battre contre les Prussiens. A Paris, la vie continue. Louise, une jeune vendeuse du grand magasin « La Nouvelle Babylone », est invitée au bal par son patron. Mais la fête est interrompue par l’annonce de la défaite. Il faut défendre Paris et une souscription populaire est lancée pour acheter des canons. Quand l’armée capitule et cherche à reprendre ces canons sur la butte Montmartre, le peuple se soulève et le 18 mars 1871, proclame la Commune de Paris qui tient tête au gouvernement de Thiers, installé à Versailles. Une histoire d’amour se tisse entre Jean, un soldat, et Louise, la jeune communarde.
Les réalisateurs
Kozintsev et Trauberg : ont fondé en 1921 (ils ont respectivement 16 et 19 ans) la Fabrique de l’Acteur Excentrique (FEKS), laboratoire d’avant-garde jouant à plein la carte de l’expressionnisme et de la parodie. De 1926 à 1945, ils réaliseront ensemble 11 longs métrages, puis se sépareront. Dans les années 50, accusés de « cosmopolitisme », ils se consacreront quelque temps à l’enseignement. En 1967, Trauberg sera reconnu « artiste émérite » de l’URSS.
La musique :
A vingt-deux ans, Dmitri Chostakovitch crée pour La Nouvelle Babylone sa première musique pour le cinéma. C’est une révolution : à la place des accompagnements improvisés avec plus ou moins de talent au piano, voici une partition conçue en étroite collaboration avec les réalisateurs mais où le compositeur jouit d’une réelle autonomie, créant une tension fascinante entre l’image et le son. Trop audacieuse au goût des autorités, trop complexe à celui du public et des interprètes, elle fut retirée après quelques projections. Aujourd’hui revenue en grâce, elle contribue à faire du film l’un des chefs-d’œuvre du cinéma muet.
Présentation par Henri Langlois :
« Dans notre adolescence, à l’apogée de cette exaltation qu’avait provoquée l’apparition de l’art cinématographique, certaines images de films que nous ne pouvions voir nous hantaient. Ainsi celles de La Nouvelle Babylone. Elles étaient si insolites qu’elles étaient, avec les photographies du Chien andalou, les seules à paraître au diapason de notre exaltation. Depuis, nous avons vu La Nouvelle Babylone. L’œuvre défie toute classification. Elle surgit en 1929, dix ans après Caligari, bien après la fondation de la FEKS, après le moment où le cinéma soviétique avait dégagé sa voie.
Il ne peut être question dans ce film, qui évoque pourtant sans cesse Daumier, de parler de réalisme. Il ne peut être question non plus, bien qu’aucun film soviétique n’ait jamais connu une telle déformation des lignes, une telle simplification des traits, de parler à son propos de formalisme. S’il est exact, comme l’a dit Hugo, que l’œuvre épique est de l’histoire écoutée aux portes de la légende, La Nouvelle Babylone est le seul film épique authentique du cinéma. Par ailleurs, ce film au rythme inouï, est le seul qui soit une transcription cinématographique de la chorégraphie, un extrait des Deux Orphelines de Griffith mis à part. Il est construit comme un véritable ballet, il évoque sans cesse les tableaux colorés, les plus expressifs, les plus passionnés, les plus chargés de rythme des grands ballets qui marquèrent les premières saisons, entre 1909 et 1913, du ballet russe. C’est la danse macabre du Second Empire et de la Commune de Paris.
Autres avis critiques :
« La Nouvelle Babylone » est un film « inspiré ». Ses auteurs ne se sont pas laissés prendre au piège de la reconstitution historique. Ils ont pour ainsi dire « transposé sans les altérer », comme en musique, les événements de ces soixante-douze jours. Ils ont tiré la quintessence, la symbolique de chaque épisode dans leur suite logique… Tout est restitué en des séquences courtes, simples, expressives, composées d’images « signifiantes » d’une étonnante intensité dramatique.
Combat 30 avril 1971
Le film est un torrent visuel admirable. Ce qui frappe le plus, peut-être, c’est la clarté et l’efficacité de son langage plastique malgré son extrême recherche… Le film abonde en effets de montage qui télescopent des espaces différents dans une unité symbolique d’une extraordinaire puissance de choc.
Kozintsev et Trauberg (conjointement avec Eisenstein) ont porté là le cinéma muet à l’apogée de sa perfection linguistique : la qualité et la force des effets visuels engendrent une émotion proprement esthétique qui décuple la passion révolutionnaire de l’œuvre. C’est un cinéma presque magique…
Cinéma 71 novembre 1971