Avec : Solveig Dommartin, Henri Serre, Philippe Clévenot, Aurore Prieto...
France / 1989 / 1h58
Synopsis
Un étonnant destin de femme librement inspiré d’une histoire vraie*. Jeanne sera religieuse, amante d’un prêtre, leader syndical et féministe, ne cessant de s’affronter à l’Église et au Parti. Une vie tumultueuse qui embrasse en raccourci l’aventure d’une génération et de ses rêves les plus fous des années 50 au 10 mai 1981.
*Le personnage qui inspira le film de Jean-Pierre Thorn, est une permanente syndicale, Georgette Vacher, qui s’est donné la mort le 20 octobre 1981, après que l’Union départementale CGT du Rhône ait décidé de lui retirer ses responsabilités. Elle avait laissé une lettre derrière elle, où elle écrivait : « C’est la fin d’une grande histoire d’amour avec la classe ouvrière… Je suis le dos au mur… Si aujourd’hui, il ne me reste plus rien pour militer dans la CGT, je me servirai de ma liberté pour une dernière action libre…Parce que je pense que la liberté, c’est plus important que la vie. »
Jean-Pierre Thorn parle de la genèse de son film
« Sa mort me bouleversait. Je suis allé sur place à la rencontre de ceux qu’elle avait côtoyés, à la découverte des lieux qu’elle avait traversés, à la recherche de ses écrits, de ses photos et des heures de cassettes qu’elle avait enregistrées-sorte de journal intime-durant les mois qui précédèrent sa mort.
Sur les traces de Jeanne, je me suis rendu compte progressivement que c’était les fils de ma propre histoire que je cherchais à démêler.
Je cherchais une inconnue…je me croisais au détour de tous les chemins. A travers ses errements, j’ai reconnu mes propres utopies…
Ma jeanne meurt de trop aimer sans jamais savoir comment effacer la distance qui la sépare des autres.
A ce stade, il ne m’était plus possible de parler d’elle en me donnant l’alibi d’un film documentaire.
Il me fallait parler d’elle à la première personne. Assumer la reconstruction de son histoire à la lumière de la mienne.
D’où la fiction »
Le choix du titre, la référence à Piaf :
« L’évidence de retrouver la passion de Jeanne à travers celle de Piaf : Piaf qui va jusqu’au bout de l’amour, à en mourir. Piaf qui se dévore et dévore ceux qu’elle aime. Piaf que porte en elle chaque femme de cette génération qui avait 20 ans en 1950
J’ai hésité longtemps sur le choix de la chanson…Avec « je t’ai dans la peau » c’était le coup de cœur… Et puis cet étonnement devant la lecture des termes toujours identiques qui émaillent les interviews de militants : « Le Parti je l’ai dans la peau, si j’étais exclu j’en mourrais ! » Renée crie à Jeanne au début et à la fin du film « Sauve ta peau ! »
C’était le déclic ! Le voilà le fil conducteur.
Alors Jeanne/Solveig, de sa belle voix grave, va l’entonner comme un leitmotiv tout au long de sa vie : sous ses voiles de religieuse, à son amant prêtre-ouvrier,… jusque sur les images euphoriques de la foule dans les rues de Paris, place de la Batille, un certain soir du 10 mai 1981. »
Avis critiques
Jean-Pierre Thorn, l’homme qui aime les femmes
Je t’ai dans la peau marque la distinction entre le lyrisme des femmes, porté vers le chant et celui des hommes porté vers la théâtralité…Dès lors se dessine la ligne de fracture entre la figure masculine qui ne peut jamais se départir, même entre la poire et le fromage, dans l’intimité de son foyer, de sa fonction sociale et des responsabilités qu’il lui incombe de porter, et la figure féminine qui ne peut s’engager dans les luttes politiques et sociales que si elle engage totalement sa vie, sa sensibilité, son corps de femme, ses aspirations à l’émancipation…
Une image du film résume parfaitement la situation : l’homme est debout, récitant un discours, son texte à la main, sur fond de paysage d’usine. Les femmes en robes à fleurs sont assises dans l’herbe, l’écoutant distraitement, non qu’elles se désintéressent des problèmes exposés par leur zélé camarade, mais parce qu’elles savent que tout est à réinventer des formes de luttes, et que le moment est venu pour elles de prendre leur destin en main. Jean-Pierre Thorn, l’homme qui aime les femmes, fait entendre leur voix, se coule dans leur sensibilité.
Kiyé Simon Luang, cinéaste, écrivain octobre 2013
Jean-Pierre Thorn
Né à Paris, le 24 Janvier 1947, Jean-Pierre Thorn débute en 1965/66 à Aix en Provence par des mises en scène théâtrales (« Les fusils de la mère Carrar » et « Ste Jeanne des abattoirs » de Bertold Brecht). Il tourne son premier long-métrage en 1968, au cœur de l’usine occupée de Renault-Flins. Ce film, « Oser lutter oser vaincre, Flins 68 », demeure un exemple du cinéma militant, régulièrement projeté pour soutenir des actions syndicales.
En 1969, le cinéaste choisit de devenir ouvrier non qualifié et s’embauche à l’usine Alsthom de St Ouen : « Si je voulais être en accord avec moi-même, il fallait que je change de vie concrètement : que je partage la condition ouvrière ». En 1978, retour au cinéma. En 1980, il réalise son second long-métrage « Le dos au mur » (témoignage de l’intérieur sur son expérience ouvrière). « Je t’ai dans la peau » (1990) est sa première fiction.
A partir de 1992 il collabore avec le mouvement hip hop, et réalise trois films devenus emblématiques : « Génération Hip Hop », « Faire kiffer les anges » et « On n’est pas des marques de vélo ». En 2006, son film documentaire « Allez Yallah ! » raconte l’épopée d’une caravane de femmes luttant, des deux côtés de la Méditerranée, contre la régression de leurs droits remis en cause par la montée des intégrismes religieux. Il signe un nouveau film-manifeste en 2011, avec « 93, la belle rebelle », qui brosse 40 années de résistance musicale en Seine Saint-Denis.
La réaction d’une spectatrice
Un immense merci pour cette soirée forte et intense. Ce film est comme tu le dis "rare", sensible, profond. Il a le rythme d’un cœur qui bat trop vite, trop fort. A fleur de pellicule, il transpire l’amour jusque dans la mort.
"Jean" Pierre Thorn s’est jeté dans la peau de "Jeanne". Il marche dans ses pas, elle court dans ses veines. Elle est devenue son il et porte désormais ses elles. Sœur d’a(r)me, d’engagement militant, elle est son fil rouge comme la chanson de Piaf dans le film.
Cette femme courageuse, cette écorchée vive, à la vie jalonnée de pertes, est une visionnaire, incomprise par ses différentes familles qui n’ont cessé de la culpabiliser. Son engagement quel qu’il soit est total, absolu. Dans un dénuement complet, elle s’est battue contre l’injustice pour transformer un monde fait à l’image des hommes, n’hésitant pas à sacrifier sa vie. Toujours à contre courant, ses idées novatrices ont bousculé, dans leur confort, ses dirigeants syndicaux qui ont arraché ses ailes.
Ce film, mémoire vivante de cette classe ouvrière, de cette femme exceptionnelle, m’a bouleversée.