Présentation/Débat : Lech Kowalski, réalisateur et Odile Allard, distributrice En présence des GM&S
Documentaire France 2019 1h49
Son : Thomas Fourrel montage : Lech Kowalski & Odile Allard musique : Sal Bernardi Distribution/Production : Revolt Cinéma
Le film présenté par Lech Kowalski
« Un mix de blues et de rock’n’roll : voilà le secret d’une révolte réussie. Quand je suis arrivé en plein cœur de la France dans l’usine d’équipement automobile GM&S menacée de fermeture, j’ai senti qu’un concert exceptionnel allait s’y donner. Il le fut : paroles inventées par des salariés poussés au-delà des limites du supportable, musique écrite par des êtres humains déterminés à bouleverser toutes les règles, y compris celles de la lutte... Et comme le son était suffisamment fort pour attirer les médias nationaux, le concert a résonné dans le pays tout entier. J’étais là, caméra en main, composant mon film grâce au lyrisme déchaîné de ces hommes et de ces femmes, en retrait, mais avec eux. »
Le tournage sur le site de GM&S lui a valu en septembre 2017 une interpellation pour "violence, outrage et rébellion" suivie d’une garde à vue de 24 heures pour avoir refusé d’arrêter de filmer et de quitter la préfecture de Guéret que les salariés en colère venaient d’envahir. Finalement, les poursuites ont été abandonnées.
Lech Kowalski
Né de parents polonais rescapés du goulag, Lech Kowalski vit en Europe après avoir grandi aux États-Unis et pris part au mouvement punk à NYC. . « Je suis fier de faire des films underground dans lesquels mon vécu s’inscrit dans une histoire plus vaste ». D.O.A. avec les Sex Pistols, Born to Lose avec J. Thunders, East of Paradise, Holy Field Holy War… Ses films sur les outsiders ont été primés dans le monde entier. « Un seul horizon possible : créer sans peur. »
Il a créé avec sa compagne, Odile Allard, sa propre boîte de production : Revolt Cinema
Présentation de Lech Kowalski par Nicole Brenez Cinémathèque française 2010
L’œuvre de Lech Kowalski, formé à l’École d’Arts Visuels de New York, assistant de Shirley Clarke puis de Nam June Paik, accomplit l’idéal d’un cinéma populaire, c’est-à-dire par et pour le peuple, recueillant les manifestations emblématiques de l’énergie expressive en fusion que libèrent les colères, les désirs et les désespoirs contemporains.
Son travail couvre trente ans d’histoire de la contre-culture, plusieurs continents et nombre des figures de la marginalité : musiciens, porn-stars, prostituées, junkies, mercenaires, sans-abris, clandestins, anciens prisonniers, tziganes... On y trouve même un cinéphile (Peter Scarlet en 2003, s’efforçant de ranimer le cinéma en Afghanistan).
Commencée à l’écoute fraternelle des exorcismes punk (Johnny Thunders, les Ramones, les Sex Pistols), avec une brève mais splendide incursion dans l’émergence du hip hop (Breakdance Test), l’œuvre s’élargit progressivement aux situations et révoltes collectives pourvu qu’elles restent aussi rugueuses et spontanées que les prestations vocales d’un Joey Ramone à ses débuts.
Lech Kowalski incarne en cinéma le mouvement punk : excitation maximale à la rencontre de singularités inassimilables qui obligeront le grand corps social inerte à se déplacer lentement, face à face extralucide avec la misère (sociale, mentale, sexuelle...), refus de la préservation de soi, foudroyante crudité stylistique, le trash comme résurrection critique du naturalisme. L’art non comme produit émouvant mais comme émeute productive. Cela nous vaut quelques films désormais fameux :" D.0.A." (1981, sur la tournée des Sex Pistols aux États-Unis), "On Hitler’s Highway" (2002, rencontres de laissés pour compte au long d’une autoroute construite par les nazis et qui mène à Auschwitz), "À l’Est du Paradis" (2005, portrait de sa mère déportée en Sibérie et autoportrait de l’artiste en déviant américain) et bien d’autres classiques instantanés.
Avec quelques complices, en 2008 Lech Kowalski crée l’entreprise Camera War, usage exemplaire des possibilités logistiques et esthétiques actuelles en matière de guérilla visuelle.
Le film vu par :
– Libération Luc Chessel
"On va tout péter", c’est le titre de ce film tourné chez les GM & S à la Souterraine, dans la Creuse, repris du slogan tagué bien haut et bien fort, accompagné de bouteilles de gaz et d’une bombe artisanale amorcée en bonne et due forme, qui accueillait à l’époque les visiteurs de leur fabrique de pièces automobiles, occupée jour et nuit pour s’opposer aux licenciements qu’annonçait la reprise de la boîte.
Tout péter, c’est du GM & S, c’était du Rotten, c’est bien du Kowalski : tout ouvrir et tout refermer, menacer de tout perdre dans le bras de fer têtu contre le désespoir. Le film nous plonge à la fois dans la mêlée et dans la mélancolie, se jette à corps perdu dans l’une comme dans l’autre. Car mêlée et mélancolie sont deux forces documentaires : ici la caméra est en première ligne pour recevoir les coups quand les CRS chargent, là la voix off du cinéaste prend un peu de champ pour réfléchir à la disparition du monde ouvrier dans cette partie du monde, et à la tâche du filmeur se retrouvant à témoigner de cette histoire. On va tout péter se pose en permanence, et en acte, des questions de représentation, qui ne concernent donc pas seulement le cinéma, mais aussi la situation politique quotidienne la plus urgente : pour filmer ou pour mener ensemble une lutte, faut-il mettre l’accent sur l’héroïsme de l’action collective, mû par l’espoir de peser dans la bagarre, ou sur l’analyse du système, de la malédiction capitaliste, par essence productrice de chômage, s’alimentant du malheur des gens, dont nous ne savons comment sortir ?
A l’alternative entre volontarisme et fatalisme, entre l’éloge du coup de poing qui fait chaud au cœur et le pur diagnostic tragique, entre l’ouverture et la fermeture de l’horizon, Kowalski propose peut-être une tangente : une sorte de compromis punk, si une telle chose est possible. Il ne filme que les intervalles entre les deux, il montre tous les moments indécidables entre le bonheur de l’occupation ou de l’organisation collective et le pressentiment de la défaite - les GM & S, lors de la réouverture de l’usine, n’obtiennent pas satisfaction sur tous les points, une bonne partie des salariés recevant leur lettre de licenciement, ici brandie sous forme d’avis de passage du facteur au cours d’une grande et belle scène d’au revoir. Ces interstices de la lutte ne sont en fin de compte, mis bout à bout sur un grand écran, que des morceaux de la vie de quelques personnes qui ont décidé de ne pas se rendre avant de s’être battues, mais ce sont bien les moments où tout pète : le cinéma ouvrier travaille pour qu’enfin des humains apparaissent, et non des héros à sublimer ni des pions à congédier.
– L’Humanité Michaël Mélinard
Dans sa carrière, Lech Kowalski, documentariste contestataire, né à Londres de parents polonais, a filmé la contre-culture punk, la marginalité, l’addiction, la renaissance du cinéma à Kaboul, les supporters de foot et des paysans polonais confrontés au gaz de schiste. Ici, dans un mélange entre réflexion sur la révolution et le cinéma et le journal intime d’une lutte, il suit le combat acharné des ouvriers GM&S de La Souterraine pour éviter la fermeture de leur usine. En 2017, pendant des mois, ces employés d’un équipementier automobile creusois, sous-traitant de Renault et PSA, se sont battus dans une indifférence quasi-générale. En accrochant des bouteilles de gaz reliées à des détonateurs et en menaçant de faire sauter leur établissement, ils ont réveillé les médias. C’est dans ce contexte explosif qu’arrive Lech Kowalski. À la stratégie de l’image choc des télévisions, il oppose le cinéma, optant pour une longue immersion. Il ne feint pas l’objectivité et accompagne les salariés. Chez un gréviste, à l’usine, il s’intéresse aux débats, à la mise en place des actions, à la méfiance des syndicalistes par rapport à la presse. Rares sont celles et ceux qui saisissent avec autant de pertinence le fossé entre l’urgence des questions posées par les salariés menacés et l’inadaptation des réponses des pouvoirs publics et du patronat. Car, il s’agit bien, du côté des dirigeants, de tuer la révolte dans l’œuf jusqu’à contourner un blocage pacifique en livrant des pièces en hélicoptère. Dans ce cadre, l’image apparaît essentielle. Kowalski s’en empare avec intelligence, incarnant cette lutte avec des noms, des visages, des corps et des voix. Il en expose d’autres aspects singuliers, telle cette discussion impromptue et amicale entre un CRS et un GM&S réunis par leur passion commune pour la pêche.
– Politis
Lech Kowalski filme au plus près ces hommes et ces femmes. Sa caméra est comme intégrée dans la lutte. Elle fait corps avec ceux que les CRS délogent quand ils organisent des sit-in. On entre avec elle dans la tête de ces salariés pour qui l’action est devenue existentielle, un mode de (sur)vie, une façon d’affirmer leur présence au monde. Ils agissent comme ils respirent. Cette énergie-là atteste qu’ils sont des êtres humains, débout. Près de la défaite, certains expriment leur scepticisme vis-à-vis de ce que leur disent leurs délégués syndicaux sur la conquête de leur dignité. La dignité, certes, ne nourrit personne. Mais elle permet de continuer à se regarder dans un miroir sans avoir ni regret ni honte. On va tout péter, titre qui exprime la violence ressentie bien plus qu’accomplie – malgré des menaces de destruction de l’usine, non mise à exécution –, est un film d’apprentissage, celui du sentiment de fierté.
– Daniel Mermet :
ON VA TOUT PÉTER n’est pas un film SUR les travailleurs en lutte mais AVEC eux : ni paillasson, ni marchepied, c’est leur film, c’est leur résistance dont nous pouvons FAIRE PARTIE comme a fait le réalisateur du film, Lech Kowalski, au sens de PRENDRE PARTI. C’est ça ou c’est le parti de l’ennemi. Il n’y a pas d’arrangement. Lech Kowalski est anglais et il le sait, Margaret Thatcher avait raison : il n’y a pas d’alternative !