Italie 1972 1h39 VOSTF Date de sortie en France 10 juin 2015 - Version restaurée
Avec : Martin Balsam, Massimo Ranieri, Valentino Cortese…
Scénario : Ugo Pirro et Ugo Liberatore
Musique : Ennio Morricone
Interventions de Dominique Danthieux, historien et Amélie Rouffanche de la Cie Chausse-[Trappe]
A Rome, lors d’une manifestation, jeunes révolutionnaires et policiers s’affrontent. Un policier et un étudiant sont tués. Un juge d’instruction est nommé, ignorant que son fils est mêlé à l’affaire…
On ne s’attendait pas à un tel film de la part de Bolognini, cinéaste plutôt tourné vers le passé. Et c’est une belle surprise. Même si c’est la relation père/fils qui reste au centre de l’histoire, [[l’intime ne gomme en rien la réflexion politique. Et la position de Bolognini est claire, dans un constat dénué de tout manichéisme. Le juge est un homme intègre, qui cherche à faire son métier le plus honnêtement possible, et il mène de front l’enquête sur la mort du policier et celle sur la mort de l’étudiant car pour lui, les deux morts se valent et ont droit à la même justice. Enfermé dans sa propre logique, il lui faut cependant du temps pour découvrir que sa fonction ne peut l’amener qu’à cautionner un système injuste. Il cherche alors à comprendre cette révolte et il finit par donner raison à la jeune génération et à sa rébellion. Une position aussi claire n’était pas évidente dans cette Italie du début des années 70, secouée par des affrontements qui vont entraîner le pays dans le chaos. Une des raisons qui explique que le film soit arrivé jusqu’à nous fort tardivement. Mais Bolognini est aussi un cinéaste incompris et injustement oublié qu’il serait temps de redécouvrir
Le contexte :
Les années 70 sont la grande période du cinéma politique italien, un cinéma qui savait brasser l’humain tout en témoignant, avec une rare pertinence, des subtilités d’une situation politique qui bouillonnait un peu partout… En Europe, dans l’ensemble des pays et surtout en Allemagne et en Italie, une répression féroce répondait à un activisme politique radical et violent, certains groupes d’extrême-gauche comme Lotta Continua ou Les Brigades Rouges en Italie, préconisant et utilisant la lutte armée. L’extrême droite n’était pas en reste et un peu partout se pratiquait ce que l’on a appelé la « stratégie de la tension » : mettre en place des « provocations » pour entraîner des réactions qui justifiaient aux yeux du peuple terrifié les politiques les plus répressives…
Le film : présenté par Marie-Pierre Lafargue
Dictionnaire du cinéma italien
A partir d’un scénario d’Ugo Pirro (auteur entre autres des scripts d’Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon et La Classe ouvrière va au paradis d’Elio Petri), Bolognini réalise un film qui colle à l’actualité autour de la figure d’un étudiant, membre de Lotta Continua, qui tue accidentellement un policier pendant une manifestation. Le juge chargé de l’affaire n’est autre que son propre père. Véritable document sur les années de plomb, « Chronique d’un homicide » représente les mouvements de la gauche extra-parlementaire et saisit l’air du temps dans une forme plus immédiate et plus brute qui s’accorde à l’urgence du propos. Mais le film montre aussi le face-à-face poignant entre un fils et un père ébranlés dans leurs convictions. Fabio Sola (Massimo Ranieri), le jeune bourgeois militant, prend conscience de problèmes sociaux qui ne sont pas les siens, tandis que le Juge Aldo Sola (Martin Balsan), entrevoyant l’injustice du système qu’il a cautionné toute sa vie, essaye de garder son intégrité sans perdre l’estime ni l’amour de son fils.
« Chronique d’un homicide », comme « Metello », retrouve le sens de l’épopée psychologique, chaque film devenant le lieu de tensions entre la fresque historique et la peinture intime, la lutte sociale et l’existence individuelle, la dissolution dans le collectif et la constitution de l’individu. Figures emblématiques d’un cinéma qui saisit dans un même mouvement la psyché humaine et les mécanismes historiques et sociaux qui la déterminent. Les personnages se débattent au sein de ces mouvements contradictoires.
Mauro Bolognini (1922/2001)
D’après Marie-Pierre Lafargue
Aujourd’hui encore, la réputation de Bolognini souffre de la comparaison avec Visconti. Les deux cinéastes partagent le même goût pour les adaptations littéraires et les sujets historiques liés en particulier à la formation de la nation italienne. Ils ont puisé dans le même vivier culturel, s’inspirant de la littérature et de la peinture du 19ème siècle. Le génie de Visconti étant jugé inégalable, on a tôt fait de considérer les films de Bolognini comme de pâles copies…Or, sous un apparent détachement, Bolognini réexamine constamment l’Histoire et c’est cette dimension critique qu’il importe finalement de mettre en lumière...
De 1957 à 1960, Pasolini marque d’une empreinte profonde les scénarios des Garçons, ça s’est passé à Rome, Le bel Antonio…Il faut que Bolognini se sépare de Pasolini pour affirmer pleinement sa personnalité de cinéaste…C’est le souffle de l’Histoire qui vient, en 1970, avec Metello, redonner de la hauteur à son œuvre. A partir de là, ses fresques historiques (Bubu de Montparnasse, La Grande bourgeoise, Liberté mon amour, l’Héritage) adhérent complétement au temps présent et résonnent de toutes les questions qui préoccupent l’Italie de l’après 68…Avec une prédilection pour la période complexe et troublée de la fin du 19ème siècle qui voit l’industrialisation du pays, la formation de la bourgeoisie et la montée du socialisme soutenu par les mouvements ouvriers et anarchistes…Le cinéaste analyse toutes les composantes de cette société italienne. Mais en radiographiant l’avidité qui la ronge et par laquelle la classe dominante justifie ses malversations politiques, c’est la dérive capitaliste et financiariste de l’Italie des années 1960 et 1970 qu’il dénonce, ainsi que le saccage des idées de lutte et d’émancipation politique nées de l’après-guerre »…
Les années 1980 voient la disparition des grandes figures féminines qui ont marqué son œuvre…Son chant du cygne est La Dame aux camélias en 1981 où il choisit de dévoiler l’envers du roman de Dumas en racontant la véritable histoire de la courtisane…