Projection de "Retour sur Ouvéa" de Mehdi Lallaoui 7 novembre 18h30 à l’EAGR dans le cadre du Repaire de Limoges
Article mis en ligne le 24 octobre 2018
dernière modification le 5 novembre 2018

par Webmestre

La projection sera suivie d’un débat sur les décolonisations inachevées, en particulier en Nouvelle Calédonie et de la lecture d’extraits de « Kanaky » de Joseph Andras

Entrée libre

« On a tenté de décoloniser les colonisés mais on n’a pas décolonisé les colonisateurs » Patrick Chamoiseau

C’est dans l’indifférence quasi-générale en métropole, que s’est déroulé le référendum d’autodétermination en Kanaky-Nouvelle Calédonie. L’archipel est toujours sur la liste de l’ONU des territoires à décoloniser. C’est pourquoi rappeler quelques épisodes de l’Histoire de la Kanaky-Nouvelle Calédonie est im¬portant pour illustrer le caractère colonial et sanglant des rapports sociaux dans ce pays. Une manière de contredire les voix qui invitent à tourner la page d’un passé pas vraiment soldé, et qui poussent à accep¬ter le fait accompli de l’occupation française.

Le film

Retour sur Ouvéa

Réalisation : Mehdi Lallaoui Voix off : Bernard Langlois

France 2008 Documentaire 70 mn Mémoires Vives Production

Synopsis :

A 20 000 kilomètres de la France, cachée dans l’archipel des Loyautés, Ouvéa, une petite île de Nouvelle-Calédonie que les publicitaires comparent volontiers au Paradis. Mais au-delà de la carte postale, cette île du Pacifique fut en avril-mai 1988 le théâtre d’une succession de drames que la presse continue d’appeler l’affaire de la grotte d’Ouvéa. Bilan de l’opération menée par l’armée : vingt et un morts dont dix-neuf jeunes indépendantistes kanak, plusieurs furent exécutés après s’être rendus. L’événement s’est déroulé entre les deux tours de l’élection présidentielle qui opposait le président François Mitterrand et Jacques Chirac, alors 1er ministre de la cohabitation.
Vingt ans après, Mehdi Lallaoui a retrouvé ceux qui furent les acteurs de cette histoire tragique.

Un avis : Jean-Claude Renard dans « Politis » du 30avril 2008

« Tout l’intérêt du documentaire, outre son souci pédagogique, renforcé par de rares images d’archives, est de donner la parole aux survivants de ce massacre. De rendre la voix au peuple Kanak. Sans pathos. Juste du verbe, des témoignages. Juste des faits. Juste une réalité étouffée, longtemps. La grotte renferme toujours quelques théières, des paires de chaussures. Vingt ans après, il y a des plaies qui ne se referment pas. Sans haine et dignement. Et dans l’espoir d’un droit du peuple à disposer de lui-même. »

Quelques repères historiques

– 1300 ans avant JC : Peuplement de l’archipel par un peuple mélanésien. Naissance de la culture kanak.
– 1774 : James Cook, premier européen à débarquer dans ce qu’il nomme la Nouvelle Calédonie.
- 1853 : Colonisation par la France.
– de 1864 à 1924 : la France y installe un bagne (criminels de droit commun, déportés de la Commune de Paris, déportés politiques algériens…).
- 1878/79 : Insurrection menée par le grand chef Ataï qui sera décapité. Sa tête est envoyée en métropole et ne sera restituée qu’en 2014.
– A partir de 1894 : La Nouvelle-Calédonie devient une colonie de peuplement dite « libre ». L’Etat français se proclame propriétaire de la majorité des terres et en attribue aux colons. Les Kanak sont cantonnés dans des réserves et progressivement dépossédés de leurs terres (en 1901 ils ne possèdent plus que 13% de la superficie initiale).
– 1931 : Exposition coloniale de Paris, lors de laquelle des Kanak sont exposés en cages
- 1917 : 2ème guerre menée par le grand chef Noël alors que les tirailleurs kanak sont partis « défendre la patrie » *
- 1946 : Abolition du code de l’indigénat par la France qui octroie la citoyenneté et la nationalité française à tous, mais le droit de vote, pour les électeurs autochtones, ne devient effectif qu’en 1957.
– 1963 : La Loi Billotte marque un retour en arrière : l’essentiel des pouvoirs accordés aux institutions calédoniennes leur est retiré, notamment en raison du boom du nickel.
– 1969 : Fondation des « Foulards rouges » qui porte principalement des revendications sur l’identité kanak
– 1975 : Création du Palika, parti de libération kanak, indépendantiste et marxiste.
Festival des Arts mélanésiens (Mélanésia 2000) où s’affirme la revendication identitaire et culturelle kanak
– 1981 : Création de l’Union syndicale des travailleurs kanaks et exploités (USTKE).
– 1984 : Création du FLNKS et début de l’insurrection indépendantiste : siège de la ville de Thio pour bloquer l’activité de la mine de nickel, boycott actif des élections territoriales : Eloi Machoro brise une urne à la hache devant la presse.
– 1985 : Assassinat d’Eloi Machoro par le GIGN. Etat d’urgence instauré.
- 1986 : La Nouvelle Calédonie est inscrite sur la liste de l’ONU des territoires à décoloniser.
L’application du Statut Pons crée un climat de quasi-guerre civile.
- 1988 : Tragédie d’Ouvéa, suivie des Accords de Matignon/Oudinot, signés par le loyaliste Jacques Lafleur et l’indépendantiste Jean-Marie Tjibaou, assassiné en 1989.
- 1998 : Accords de Nouméa qui prévoit des transferts de compétences et l’organisation de 3 référendums d’autodétermination

*Pour en savoir plus sur la guerre kanak de 1917, lire "Les sanglots de l’aigle pêcheur" (Edition Anacharsis 2015)

Un point de vue : Joseph Andras,

écrivain.

Son dernier livre, « Kanaky », paru en septembre, revient sur cette histoire à travers le portrait d’Alphonse Dianou, militant indépendantiste kanak, une des victimes de l’assaut du 5 mai 1988. Son livre précédent, « De nos frères blessés », était consacré à Fernand Iveton, militant communiste guillotiné pendant la guerre d’Algérie. Il a expliqué, dans « L’Humanité », quel est le lien entre la Kanaky et l’Algérie :

« Entre ces deux pays, les liens sont ceux de la colonisation, et de son imaginaire, sa pratique. L’opération militaire menée contre les indépendantistes porte le nom de combat d’un gradé en Algérie ; Tjibaou, leader du FLNKS, s’était rendu en Algérie pour penser la décolonisation de son archipel ; des militaires ont fait état de la « stratégie du djebel » mise en place à Ouvéa…Iveton et Dianou ont tous deux, à leur façon, tenté de contrer la machine impériale… »

Quelle est la situation aujourd’hui en Kanaky-Nouvelle Calédonie ?

Sur 280 000 habitants, 10 000 vivent dans des bidonvilles. Une dizaine de grandes familles concentrent 80% de l’économie marchande. Les produits de première nécessité sont 34% plus chers qu’en métropole. Le taux de pauvreté y est 2 fois plus élevé. 93% de détenus sont Kanak. Il est donc temps de repenser ce système inégalitaire de domination coloniale. Et même si le Non l’a emporté, rien n’est joué : le référendum d’aujourd’hui n’est qu’une étape dans la lutte d’émancipation du peuple kanak.

« Au niveau géopolitique, je pense qu’on est dans une forme de recolonisation inédite perverse, subtile et raffinée ; la France ayant inventé un dispositif juridique et politique dans lequel se trouvent coincés les représentants du peuple kanak, notamment par l’accord de Nouméa, dispositif astucieux qui oblige les gens à négocier, notamment par les élections... On a substitué des règles de marginalisation, de violence physique, par des règles de code électoral avec lesquelles les individus sont obligés de composer. C’est une recolonisation subtile au niveau du droit, de l’économie, de la démocratie, des modèles formels institués. » Hamid Mokaddem, professeur agrégé de philosophie à l’Institut de formation des maîtres de Nouméa (Mars 2018 Billets d’Afrique site de Survie)

Mehdi Lallaoui :

Mehdi Lallaoui est réalisateur et écrivain. Il est, avec Samia Messaoudi et Benjamin Stora, co-fondateur depuis 1990, de l’association Au Nom de la Mémoire. Celle-ci est axée autour de trois thèmes qui s’entrecroisent : les mémoires ouvrières liées souvent à l’immigration ; les mémoires urbaines, et en particulier la banlieue, et enfin les mémoires issues de la colonisation.
Publication d’ouvrages, réalisation de films documentaires, production d’expositions itinérantes, animation de rencontres-débats… le travail d’Au Nom de la Mémoire prend plusieurs formes qui permettent d’aller à la rencontre d’un large public. L’éducation à l’histoire contemporaine de notre pays est pour l’association présidée par Mehdi Lallaoui l’un des moyens de contribuer à construire la citoyenneté et de se battre contre les discriminations.

Mehdi Lallaoui tient son désir de cinéma de cette implication citoyenne et associative. C’est en assistant à l’action de mobilisation du peuple kanak luttant pour son indépendance, au début des années 1980 en Nouvelle-Calédonie, qu’il éprouve ce besoin d’images pour répondre à la nécessité qui l’anime de témoigner et d’informer. Une décennie plus tard, en 1991, Mehdi Lallaoui signe son premier film Le silence du fleuve qui dénonce les crimes de la police parisienne sous les ordres du préfet Papon, le 17 octobre 1961, et qui touche également à son histoire familiale.
S’en suit une filmographie abondante, qui concerne la réhabilitation de ces mémoires oubliées. Il a notamment réalisé plusieurs films sur des sujets touchant à différents pans des histoires croisées de l’Algérie et de la France, dont Les massacres de Sétif, un certain 8 mai 1945 qui a reçu, en 1995, le Grand prix du meilleur film documentaire au Festival du film historique de Rueil-Malmaison, et le premier prix (catégorie événement politique) du Festival international du scoop et du journalisme d’Angers.
Sur la Nouvelle Calédonie, il a réalisé Kabyles du Pacifique, en 1993, l’histoire de ces Algériens que l’on a exilés là-bas, les premiers vers 1873, suite à leur révolte contre l’occupant français.
Puis, en 2001, il revient sur le parcours extraordinaire de Jean-Marie Tjibaou, leader kanak assassiné. En 2015, La Tête d’Ataï, évoque l’histoire du grand chef Kanak, Altaï qui fut l’instigateur de l’insurrection kanak de 1878 et qui périt décapité. Sa tête fut envoyée en France, étudiée, puis elle disparut pour ne réapparaître qu’en 2011 dans des circonstances assez étonnantes. Elle a été restituée au peuple kanak en 2014.