USA 2017 Fiction 1h44 VOSTF
Avec : Daniel Kaluuya, Allison Williams, Catherine Keener, Marcus Henderson…
Oscar 2018 du meilleur scénario original
"Soit un jeune couple mixte, elle blanche, lui noir, tous les deux très beaux et très amoureux. Le moment est venu de présenter le gendre idéal à la riche belle-famille, lors d’un week-end à la campagne. Qui va déraper. Sous-entendus, sourires coincés, messes basses : le malaise s’installe progressivement entre cette famille de patriciens wasp, trop accueillante pour être honnête, et la pièce rapportée, dont la couleur de peau semble cristalliser craintes et fantasmes, attraction et répulsion... Cessez votre lecture si vous voulez préserver la surprise du retournement. Car l’homme noir ne sera pas banalement sacrifié sur l’autel d’un racisme nostalgique, façon Ku Klux Klan. Chez ces gens-là, bien plus vicieux, le « nègre » est réduit à sa puissance, sexuelle, qu’il s’agit de s’approprier et de domestiquer. Entre Blaxploitation et Frankenstein, cette série B aborde avec une exquise perversion l’inextinguible rivalité raciale qui perdure aux Etats-Unis."
Jérémie Couston "Télérama"
« Get out, sorti (triomphalement) sous Trump mais conçu sous Obama (c’est important de le préciser), expose avec une puissance et une intelligence redoutables les mécanismes du racisme, ces processus qui partout se ressemblent, quand bien même les contextes historiques diffèrent…
Nous faisons connaissance avec Chris (Daniel Kaluuya, excellent comédien, déjà aperçu dans Sicario, dont les yeux exorbités recouvrent l’affiche), qui s’apprête à passer pour la première fois un week-end chez ses beaux-parents.
Il est noir, ils sont blancs. Mais sa petite amie, Rose (Allison Williams, très convaincante dans son premier rôle post-Marnie de Girls), le rassure : “Il n’y a pas plus tolérants qu’eux.” Sauf que rien, évidemment, ne va se passer comme prévu.
Ce pitch rappelle, à dessein, celui de Devine qui vient dîner, comédie dramatique de Stanley Kramer avec Sidney Poitier, Spencer Tracy et Katherine Hepburn, nominée dix fois aux oscars, qui voulait rappeler à l’Amérique soi-disant tolérante de 1967 son racisme latent et son mépris doucereux cachés sous les ors de la bourgeoisie libérale. Mais là où le vétéran Kramer se présentait avec de la pommade et une vision plutôt édifiante des choses, Peele, lui, tire à boulets rouges…
Puissamment réflexif sous ses dehors de petite grenade jouissive, Get out est irrigué par une véritable morale du regard qui n’a rien à envier à celle de Michael Haneke (lorsqu’il s’attaque au racisme dans Caché, par exemple) ou de Steve McQueen (lorsqu’il se penche sur l’esclavagisme dans 12 Years a Slave). Mais, contrairement aux deux cinéastes suscités, Jordan Peele ne cherche pas à rééduquer le spectateur à coups de trique.
La question du voir (et du bien voir) est omniprésente ici : on perçoit la réalité différemment selon sa couleur de peau ; on traque avec un appareil photo les faux-semblants ; on s’espionne ; on se jauge et on se dupe avec les yeux, mais on y retrouve toujours, en fin de compte, le miroir de l’âme.
Bref, tout se noue et se dénoue autour des regards. Sauf que cette obsession ne s’accompagne là d’aucun sadisme. Par sa forme même et par les affects joyeux qu’il convoque, malgré l’horreur de ce qui s’y joue, Get out invite au contraire à exulter. A rire et à trembler pour conjurer le mauvais sort. Sortons de là, oui, il est encore temps."
Jacky Goldberg "Les Inrocks"
"Le coup de force de Get Out repose tout entier sur un déplacement, presque un renversement du regard, au profit d’une perspective racisée. Cette fable carpenterienne à la mise en scène chirurgicale fait ainsi naturellement de l’œil son principal motif, du plan subjectif son tour le plus saisissant et de son personnage principal - Chris, un jeune Afro-Américain -, un photographe. Car l’horreur est par-dessus tout affaire de point de vue. Passé un prologue glaçant, comme déconnecté de l’apparente légèreté du récit qui s’ensuit, où l’on discerne l’écho d’Halloween et de la tragédie Trayvon Martin, le film nous présente le couple formé par Chris (le remarquable Daniel Kaluuya) et son amoureuse Rose (parfaite trouvaille qu’Allison Williams, la Marnie de la série Girls), en partance pour une première rencontre, en week-end, avec les parents de cette dernière…
On sait que le film d’horreur et la comédie cohabitent en des territoires très proches : les deux genres s’impriment physiquement sur leur spectateur convulsant de rire ou d’effroi, et tirent leur essence d’exagérations cathartiques des dysfonctionnements saillants de la société. On n’en est pas moins médusé que Get Out soit l’œuvre d’un homme de comédie, en outre un premier long métrage. Comme si l’avènement d’un cinéma d’horreur abordant de front le racisme pendait au nez de l’Amérique depuis toujours, Peele n’avait apparemment besoin de rien d’autre (ou presque) que d’un bon script, d’une dose d’humour noir et d’un œil affûté pour transformer un banal film d’horreur de situation en un grand film d’époque…
Julien Gester "Libération"
Jordan Peele
Avant d’être cinéaste, Jordan Peele fut une star du petit écran – d’ordinateur. Moitié du duo comique Key & Peele, son visage de poupon a fait le bonheur des internautes qui vénèrent ses imitations du gratin afro-américain… En dépit d’une phrase d’accroche explicite (« If you don’t watch this show, you’re a racist »), Key & Peele était loin de pratiquer un humour clivant – le duo jouant le plus souvent du racisme comme d’une absurdité plutôt que d’une cruelle injustice. Mais parce qu’il s’est si souvent amusé de sa capacité à « terrifier les Blancs » (on conseille le sketch White Zombies), on est finalement peu étonné de le voir prendre son envol comme cinéaste avec un film de terreur.