France 1973 1h43
Avec : Michel Piccoli, Béatrice Romand, et les acteurs du Café de la Gare : Patrick Dewaere, Coluche, Romain Bouteille, Miou-Miou…
Claude Faraldo (1936/2008)
Fils d’un ouvrier immigré italien, il exerce différents petits métiers dès l’âge de 13 ans dont, confiera-t-il, celui de livreur pour le négociant en vins Nicolas. Il souhaite devenir acteur et rejoint le cours Simon. Il deviendra le cofondateur de la société de production "ArtMédia" avec Évelyne Vidal et Gérard Lebovici.
Autodidacte, il met en scène une dizaine de films disparates et originaux, inspirés par ses idées contestataires et libertaires. Son premier long métrage, Bof… Anatomie d’un livreur, est un plaidoyer pour le droit à la paresse. Il lui vaut les encouragements de Jacques Prévert.
Le point de vue des « Cahiers du cinéma » : Florent Guézengar Novembre 2015
Pas de vide politique en 1973 ! Redécouverte d’une météorite française.
« Themroc », signé Furax
C’est en 1973 que déboule sur les pavés de Paris un objet cinématographique non identifié, en forme de parpaing extraterrestre : « Themroc », balancé d’une cour d’immeuble pour pulvériser d’un geste cinétique la marche productiviste de la planète Terre…
Dans « Themroc », on arrête vraiment tout, mais plutôt pour foncer en avant- c’est un vrai film-bélier- et forcer toutes les portes, celles de l’oppression politique, sociale, familiale, comme du langage-les signes sont balayés : seule reste la rage pure de l’expression, sans parole… ça dérape et ça décape. Et le plus étonnant… c’est que ça marche. Le « non-langage » inventé par ce film est expressif, presque fluide- d’une novlangue savoureuse aux puissants cris de rage, en passant par une grande variétés de borborygmes et autres gémissements, aussi vertement composés qu’immédiatement compréhensibles…
Lâchons 1973 et n’enfermons pas « Themroc » dans les années 70 car il parle désormais à notre temps de plus en plus inégalitaire et fonctionnel, oppressant, bien-pensant ou pensant mal, dans la douleur. Signer Furax, c’est le meilleur moyen de ne pas y être assigné. A l’heure d’une normalisation grandissante et du retour des réflexes les plus conditionnés, plus qu’une curiosité d’époque, la fureur incisive et explosive de ce film- exemplairement imparfait, et sans identification possible- est maintenant devenue une œuvre de salubrité publique !
Le film vu par Claude Faraldo :
« C’est par accident que j’ai fait du cinéma. Je venais de la cité, je n’aimais pas les intellectuels. Je ne te parle même pas des riches ! Les intellectuels, ils savaient tout, ils parlaient, ils avaient des connaissances, de la mémoire… Tout ce que je n’avais pas. Quand j’ai commencé à faire du cinéma, c’était ni pour eux, ni avec eux !...« Themroc », c’est une contestation intégrale, totale… C’est ma vengeance. Je voulais que personne n’ait dit ce que j’allais dire. Il n’y aura pas un mot, ils ne comprendront rien, ils ne pourront pas faire de comparaison. Ce sera juste un film pour nous, pour ceux qui n’arrivent même pas à formuler les choses. » CQFD 02/06
« Themroc » est un outrage à la bienpensance, un brûlot libertaire qui 40 ans après sa sortie n’a rien perdu de sa fureur. Une hérésie plantée dans le pied du cinéma français qui ne sera jamais allé aussi loin dans la transgression des tabous de notre société. Il fallait oser, Claude Faraldo l’a fait ! (Avoir-Alire)
Le point de vue à sa sortie
"On aime ou on n’aime pas. L ’avantage de ce film où l’on ne fait que grogner, rugir, glousser, ou parler un langage inventé, c’est qu’il pourra passer sur tous les écrans du monde en version originale et sous-titrée. Themroc, c’est Michel Piccoli égal à lui-même. Mais Romain Bouteille et l’équipe du Café de la gare ne sont pas mal non plus". (Le Canard Enchainé)
"Le poême barbare a été interprété magnifiquement par Michel Piccoli, qu’une soudaine mutation transforme d’exploité abruti en lion têtu et euphorique. Autour de lui Marilu Tolo,...et la troupe de Romain Bouteille. Ils sont tous parfaits, drôle, inquiétants, dignes petits Themroc fascinés par leur prophète débonnaire et impitoyable. Souhaitons à la bombe de Faraldo une belle déflagration et de faire le plus de dégâts possible. Anti-cannibales et état-major C.R.S. s’abstenir." (Jacques Doniol-Valcroze)
"Comme l’an 01, "Themroc", de Claude Faraldo, bloque les mécanismes de la société de consommation et chante avec humour le retour à un état de nature. Mais Faraldo (l’auteur de "Bof") n’est pas un doux. Il provoque, il violente, il insulte, par une écriture constamment inventive et qui fait semblant de basculer dans l’absurde pour mieux amener les spectateurs à réagir. "Themroc" ou la grande secousse. Cette oeuvre étonnante se passe - fort bien - du langage parlé, des dialogues écrits. Et chez Faraldo, cinéaste contestataire, "bouffer du flic" n’est pas seulement une métaphore. Les Themroc sont cannibales". (Jacques Siclier)