"La Dame de Shanghaï" Orson Welles 17 mai à 20h30 au Lido, avec Federico Rossin, critique et historien de cinéma
Article mis en ligne le 2 mai 2016
dernière modification le 3 mai 2016

par Webmestre

Etats-Unis 1947 1h30 VOSTF

Avec : Rita Hayworth, Orson Welles, Everett Sloane, Glenn Anders, Ted de Corsia…

Un soir, Michael O’Hara, un marin irlandais, vient en aide à une mystérieuse et superbe femme victime d’une agression. Après une courte conversation, elle disparaît dans la nuit. Plus tard, il est engagé à bord du yacht d’Arthur Bannister, riche avocat et mari de la femme qu’il a sauvé, Elsa Bannister. Michael devient l’amant d’Elsa. Petit à petit, il se retrouve mêlé à une complexe histoire de fraude et de meurtre...

Le film vu par...

*DVD Classik

La légende dit que La Dame de Shanghai serait le cadeau empoisonné d’Orson Welles à Rita Hayworth, qu’il lui aurait fait lors de leur divorce, pour briser sa carrière. Disons-le d’emblée, ce n’est qu’une légende. A cette époque, Welles a besoin d’argent, et sa carrière est compromise par les échecs commerciaux successifs de Citizen Kane et La Splendeur des Amberson. Il doit donc prouver qu’il est capable de mettre en scène un film rentable. Il choisit comme sujet un roman noir de Sherwood King qu’il avait sous la main, et Rita Hayworth, comme cadeau de divorce, accepte de participer au projet. Grâce à sa présence au générique, le film peut se faire. Mais lorsque Harry Cohn, grand manitou de la Columbia et pygmalion de Rita Hayworth, voit le résultat, il fait remonter le film selon ses vœux et repousse sa sortie pendant deux ans pour ne pas nuire à la carrière de son actrice. A sa sortie, en 1948, le film déroute le public, qui ne supporte pas de voir Rita dans un rôle de monstre. C’est un naufrage financier qui compromit la carrière de Rita Hayworth et encore plus celle de Welles. Aujourd’hui encore, La Dame de Shanghai est un film déroutant.

* Pierre Murat Télérama 9/05/15

« Il est évident qu’on sentait venir le danger. Moi pas. » Ainsi commence l’un des polars les plus troublants de l’histoire du cinéma, aussi célébré aujourd’hui qu’il a été honni à sa sortie. On lui reprochait alors tout et n’importe quoi : l’intrigue, prétendument incompréhensible. Et les cheveux courts et blonds de Rita Hayworth ! Génial et inspiré, Welles fait pourtant de son épouse de l’époque un top érotique — qu’elle soit étendue, presque nue au soleil, ou sur le yacht de son mari, vêtue d’une casquette d’amiral et veste assortie... Comme à son habitude, il filme en très gros plan des visages et, à l’arrière-plan, des espaces infinis. C’est que les êtres humains, pour lui, restent des estropiés. Certains le sont au sens propre, comme l’avocat milliardaire, d’autres, comme Rita, au figuré, ourdissant des complots dans lesquels ils se piègent eux-mêmes. Conçu comme un cauchemar parfois grotesque, le film se justifie par la célèbre séquence des miroirs. Scène superbe où les méchants ne font que s’auto¬détruire, en fait, dès lors qu’ils essaient de s’entre-tuer...

*Jacques Siclier Le Monde.

• « Rita Hayworth n’a jamais été aussi belle que dans La Dame de Shanghai, allongée sur un rocher, pendant une baignade en mer ou courant dans la nuit mexicaine, vêtue d’une robe blanche féerique. Mais Orson Welles l’avait parée pour ses funérailles et le désastre était irréparable. Le massacre dans les miroirs fut celui d’un mythe qui ne se releva jamais. Par son génie esthétique, Orson Welles a tiré vengeance, moins de la star dont il allait ensuite se séparer définitivement que du système hollywoodien. Sans souci de construire logiquement l’intrigue, il a créé un univers d’images et de formes à la limite de l’onirisme. Chaque plan porte une charge d’insolite, de jeu entre les apparences trompeuses et la réalité. Les hommes d’affaires du clan Bannister sont assimilés à des requins (ce qui visait les producteurs d’Hollywood) et tout, ou presque, prend, dans ce film, un sens symbolique : la fameuse scène où Michael et Elsa s’embrassent devant un aquarium peuplé de poissons monstrueux, la fuite dans le quartier chinois et la dégringolade, par le toboggan, dans le palais des mirages soudain transformé en chambre infernale. Magnifique coup d’éclat de l’auteur de Citizen Kane, qui allait bientôt prendre le chemin de l’exil. »

Orson Welles vu par...

Serge Daney Ciné journal 14 août 1981

« L’oeuvre cinématographique de Welles peut être comparée à une fusée : elle part très vite, avec la mise à feu Citizen Kane et elle profite de l’élan acquis pour aller loin, très loin. En route, cette fusée perd tout : son fuselage, ses réacteurs, ses passagers, ses observateurs et finalement son pilote. Seule dans le conformisme vite béat du cinéma américain, elle se met sur orbite et éclaire le chemin à venir du cinéma le plus moderne… »

Michel Boujut Un strapontin pour deux 1995 Dessin de Jacques Tardi

« On le lui aura fait payer au prix fort son génie. Orson Welles, toute sa vie, aura dû se battre contre ceux qui voulaient l’empêcher de faire des films, lui, l’empêcheur de tourner en rond…Welles-Sisyphe fut bel et bien un cinéaste maudit dont les films existants sont les bribes et les fragments d’une oeuvre restée enfouie dans les limbes..."

Jean Cocteau

« Une manière de géant au regard enfantin, un arbre bourré d’oiseaux et d’ombre, un chien qui a cassé sa laisse et se couche dans les plates-bandes, un paresseux actif, un fou sage, une solitude entourée de monde, un étudiant qui dort en classe, un stratège qui fait semblant d’être ivre quand il veut qu’on lui foute la paix.
Orson Welles est un poète par sa violence et par sa grâce. Jamais il ne tombe du fil sur lequel il traverse les villes et leurs drames.
Il l’est aussi par l’amitié fidèle qu’il porte à nos rêves et à nos luttes… »

Extraits de l’article écrit par Serge Daney « Le Géant » à l’occasion de la mort de Welles

Libération 11 octobre 1985

Enfant prodige avant de devenir artiste prodige, mystificateur radiophonique, acteur shakespearien, promoteur de projets jamais réalisés et de films qui restent parmi les plus grands.
Qui est mort, hier, à l’âge de 70 ans ?...L’un des plus grands cinéastes du 20ème siècle (c’est-à-dire de tous les temps) qui, en quelques films, avait chaviré le cinéma, -l’un des rares après qui ledit cinéma eut beaucoup de mal à être « comme avant » ? Un acteur plus grand et plus beau que nature, jeune premier de génie devenu colosse fragile, acteur devenu figure puis image ? Un homme trop singulier pour l’industrie américaine du film qui, après l’avoir salué, s’empressa de passer à autre chose ?
Trop « neuf » pour le Nouveau Monde, mais aussi vieux que Shakespeare, défi sans âge, héros sans origine ? Oui bien sûr, il y a Welles-légende de cinéma, il y a le nom de Welles confondu avec ce qu’il y a de plus libre dans ce mot : cinéma.
Mais comme tous les inventeurs, Welles fut plus que cela. Homme de spectacle avec un œil amusé vers le public et un œil malicieux vers les coulisses. Homme de radio et homme de théâtre (voué à Shakespeare), homme de télévision et même apparition publicitaire : jusque dans les travaux « alimentaires », il reste un ogre. Même déchu il n’oublie rien de la dignité du clown. Les inventeurs ne meurent pas mais laissent derrière eux des points de suspension.
Héros de sa propre vie, Welles ne laissa à personne le soin de démêler les fils de sa légende. Il a ajouté les vérités aux mensonges, brouillé les pistes, découragé les exégèses. Il a empêché qu’à son propos, comme à propos de n’importe quoi, quelque chose comme un dernier mot puisse être proféré…