France, 1969, 1h47, couleur
Scénario : Michel Fabre, Nelly Kaplan, Claude Makovski, Jacques Serguine
Musique : Georges Moustaki
Interprètes : Bernadette Lafont , Georges Geret , Michel Constantin, Julien Guiomar, Jean Paredes…
« L’histoire d’une sorcière qui finit par brûler ses inquisiteurs »
Venues de nulle part, sans papiers et sans argent, Marie et sa mère vivent à Tellier. Main-d’œuvre idéale pour des travaux mal payés, elles occupent un cabanon prêté par une fermière voisine qui exige d’elles, en retour, des corvées de servantes. Au décès de sa mère, Marie se trouve seule face aux notables du hameau. Bravant le risque de se mettre à dos les habitants, elle use alors de ses charmes pour échafauder un stratagème vengeur…
Tempête libertaire
Antoine de Baecque Libération 27/08/2003
Bernadette Lafont y est incroyable de verve, démesurée. Et rarement on a vu un pamphlet d’une telle virulence contre la société française, ces messieurs notabilisés balançant entre les valeurs à respecter pour la forme et les obsessions à satisfaire coûte que coûte. La première y porte à incandescence les idées féministes les plus effrontées : une Marie-couche-toi-là prenant son destin en main, transformant sa fonction de traînée du village en un rôle de femme révoltée, faisant payer les mâles et les crétins. Les seconds y sont veules à souhait, galerie de trognes grotesques, pharmacien, épicier, facteur, curé ou garde champêtre. Quand Nelly Kaplan, dans ce premier film libertaire, ose tout et arbore un délire dévastateur comme oriflamme vengeresse, c’est le monde du cinéma français qui s’en trouve secoué. Cat ce petit film à la marge offre à Bernadette Lafont son meilleur rôle, celui que la nouvelle vague -hormis Les Bonnes Femmes de Chabrol- n’avait pas su lui proposer. Et s’invite à la table d’un jeu de massacre qu’aucun des jeunes cinéastes des années 60 n’a mis sur pied. Trente-cinq ans après, La fiancée du pirate tient parfaitement le coup, toujours aussi jeune et impertinente.
Nelly Kaplan
D’origine russe, la réalisatrice et écrivaine Nelly Kaplan est née en Argentine. Elle arrive en France dans les années cinquante et devient l’assistante d’Abel Gance en 1956 (notamment sur Austerlitz en 1960, Cyrano et d’Artagnan en 1964) ce qui représentera pour elle la meilleure des écoles. En 1955, elle rencontre Philippe Soupault, puis en 1956, André Breton : le début d’« une éblouissante amitié amoureuse »
Dès 1961, Nelly Kaplan entreprend une série de courts métrages d’art qui sont présentés avec succès dans le monde entier, et en 1967, c’est Le Regard Picasso, réalisé à l’occasion de la rétrospective Pablo Picasso organisée au Grand Palais, pour lequel elle reçoit un Lion d’Or à la Mostra.
Pour son premier long métrage, La fiancée du pirate, Nelly Kaplan souhaitait « aborder l’histoire d’un individu qui se met volontairement en-dehors des lois et qui se condamne, par là-même, à être maudit. J’ai toujours été attirée par ce qu’on appelle les “sorcières” (les fées ne sont d’ailleurs que des sorcières qui n’ont pas réussi !) et j’ai toujours regretté qu’on s’obstine à les brûler ! »
Suivront : Papa les p’tits bateaux (1971), Néa (1976), Charles et Lucie (1979), Pattes de velours, pour la télévision (1987), Plaisir d’amour (1991)…
Nelly Kaplan est aussi l’auteur de nouvelles et romans dont :
Le Réservoir des sens, 1966 Sous le pseudonyme de « Belen », Mémoires d’une liseuse de draps, 1974 Roman signé « Belen », censuré et interdit de diffusion, réédité en 1998, sous le titre Un manteau de fou rire, Aux Orchidées sauvages, 1998, Ils furent une étrange comète, 2002, Et Pandore en avait deux !, 2008…
« C’est plus fort que moi, depuis l’âge de six ans, je fiche la pagaille. On me dit qu’il ne faut pas faire de vagues, mais je ne peux pas ne pas m’en prendre aux tabous. L’insolence, c’est bon pour la peau…
J’aime l’humilié, l’offensé quand il se révolte ; je suis contre tendre l’autre joue. C’est aussi ma propre révolte contre la bêtise, les tabous, les préjugés, les moralistes, les juges. La bêtise, c’est tout ce qui est statique. Si vous restez cloué sur place, vous êtes mort. »
Nelly Kaplan dans Le Monde lors de la sortie de « Papa, les petits bateaux »
« Je pense que nous devons rester terriblement attentifs devant le déferlement de la médiocrité…Qu’à la rigueur on peut tout prendre au tragique, mais rien au sérieux. Et par-dessus tout, rire…Surtout de nous-mêmes…Et aussi des autres. »
LA CRITIQUE DE TELERAMA
28/07/2007
Un film féministe avant l’heure, bourré de symboles à la Buñuel. Nelly Kaplan passe les mœurs de la communauté villageoise au crible. Nul n’échappe à sa sagacité, ni la propriétaire de la ferme – amoureuse, elle aussi, de Marie –, ni les femmes du village – mesquines et confinées derrière leurs volets, terrifiées à l’idée que le scandale puisse éclater –, ni les notables. Avec des accents de surréalisme, La Fiancée du pirate fait beaucoup plus que condamner l’ignominie d’une société prête à dévorer les plus faibles. L’apparente libération sexuelle de Marie n’est qu’un instrument pour pulvériser préjugés et non-dits. Une arme contre le conformisme et la mesquinerie. Formidable de mystère et de provocation, Bernadette Lafont tenait là un de ses meilleurs rôles. Que dire des personnages secondaires, sinon que chacun, à sa façon, crucifie à merveille le bourgeois ?
Marie-Elisabeth Rouchy