"Sangue" de Pippo Delbono le 11 décembre à 20h30 au Lido en partenariat avec Dante Alighieri
Article mis en ligne le 29 novembre 2014
dernière modification le 5 décembre 2014

par Webmestre

« Sangue »

de Pippo Delbono

Italie/Suisse • essai documentaire • 2013 • 1h32 • couleur • vostf

Avec : Pippo Delbono, Giovanni Senzani, Margherita Delbono, Anna Fenzi, Bobò

Scénario Pippo Delbono, Giovanni Senzani

Prix Don Quichotte, Festival de Locarno 2013

« Sangue » évoque la perte des idéaux, la mort, la lutte révolutionnaire, la déception et le pouvoir de l’art et de l’amour.

Pippo Delbono :

Pippo Delbono est né en 1959 à Varazze. Acteur et metteur en scène de théâtre, il est l’un des plus grands acteurs de la scène contemporaine. Passionné de théâtre depuis l’enfance, Pippo fait ses études à l’école de théâtre de Savone où il rencontre Pepe Robledo, un acteur argentin avec qui il fera ses premières tournées. Avec lui, il rencontrera Pina Bausch avec qui il a également collaboré en 1990 dans sa pièce « Il Muro »…

Il a écrit et mis en scène vingt pièces de théâtre. Son travail est toujours lié à des passions personnelles (notamment celle pour Pier Paolo Pasolini, à qui il rend hommage avec La Rabbia en 1995), à des événements d’actualité, à l’histoire du monde, aux luttes des opprimés.

Synopsis :

Fin 2011. Pippo Delbono et Giovanni Senzani, ancien leader des Brigades rouges récemment sorti de prison, décident d’évoquer ensemble leur rapport à la mort, à la violence, aux rêves de révolution, au monde d’aujourd’hui et à l’Italie en ruines. Pour un livre, ou un film. Mais comme si la réalité devait se jouer de leurs projets, la mort les rattrape. Pippo se rend d’urgence au chevet de sa mère, malade. Une fervente catholique, ancienne maîtresse d’école, qui détestait les communistes. Pendant ce temps, Anna, l’épouse de Giovanni, qui l’a patiemment attendu durant ses vingt-trois ans de prison, tombe également malade. Malgré tous leurs efforts, les deux femmes meurent à trois jours de distance. Pippo et Giovanni se retrouvent soudain orphelins, sans défenses, sans masques.

Avis critiques :

"C’est toujours du cœur et au cœur que parle Pippo Delbono, dans son théâtre comme dans ses films.

Sangue, son cinquième, remonte le temps et s’affronte à l’éternité, à la vie, à la mort. Bouleversant et apaisé, il débute sur les dernières images tournées : les funérailles de Prospero Gallinari, des Brigades rouges, qui rassemblent une foule en procession, sous la neige, derrière le cercueil recouvert de roses rouges.

Au départ, Pippo avait rencontré Giovanni Senzani, membre des Brigades rouges, emprisonné dix-sept ans pour l’enlèvement et le meurtre de Roberto Peci, et spectateur de son théâtre. Ensemble, ils voulaient écrire un livre : Egarés. Mais la vie a pris le pas sur ce projet. Anna, la femme de Giovanni, est malade, tout comme la maman de Pippo Delbono et toutes deux meurent à quelques jours de distance.
Alors, les images filmées par Pippo tiennent le carnet de bord de ce double parcours, sous forme de road-movie, de l’Italie à l’Albanie et à Paris. Elles donnent la parole à Giovanni qui tient à parler de son engagement dans les Brigades rouges, de l’ineffaçable douleur à revivre l’exécution de Roberto Peci. Et à la maman de Pippo qui aborde sa foi avec une certitude détachée mais d’une rare intensité.

La prière de saint Augustin qu’elle lègue à son fils sur son lit de mort est comme l’épiphanie d’un film qui n’oublie pas l’humour et la légèreté, que Pippo appelle la “tragicomédie” du malheur : “Par rapport à mes films précédents, dans « Sangue » il n’y a pas de rage. Il y a une espèce de sagesse du regard. (…) A présent, voir le nom de ma mère, Margherita Delbono, défiler au générique à côté de celui de Giovanni Senzani, me fait sourire  ; j’ai l’impression de jouer un peu avec le côté absurde de la vie et de la mort. Elle qui était tellement anticommuniste, non pas pour des raisons sociales, mais parce qu’elle n’a jamais pu se faire à l’idée que les communistes étaient athées, elle se retrouve à présent au générique avec un chef des Brigades rouges…”

Quant à Giovanni, qui disait à Pippo, assis sur la chaise vide d’Anna : “Ce monde ne me plaît pas, cette liberté ne me plaît pas, je ne sais pas quoi en faire après l’avoir rêvée si longtemps”, il constate au final que ce film, après le tournage des funérailles de Prospero, a “terminé son long voyage à travers la mort. Les films libèrent l’esprit. Les films libèrent la vie quand ils réussissent à parler de la mort”. »

Fabienne Arvers Les Inrocks

En seulement cinq films, tous produits de manière indépendante, Pippo Delbono est parvenu à créer un cinéma incontournable, étranger à toute sorte de catégorie et d’une rare puissance. Ce cinéma est pourtant encore largement méconnu, en partie caché derrière le succès de sa première vocation, l’art dramatique. Encore aujourd’hui, l’acteur et le metteur en scène, les deux visionnaires, que les théâtres du monde entier invitent avec la Compagnie Delbono, font de l’ombre au cinéaste, l’un des plus novateurs de notre temps.

Aucun de ses tournages n’est vraiment prémédité, tous viennent d’une rencontre dont ils traduisent l’émotion, l’étonnement et ensuite la nécessité, en images et en sons…

Eugenio Renzi critique à « Independencia » (catalogue Festival de La Rochelle 2014)

Pippo Delbono déambule dans les rues de L’Aquila, la cité des Abruzzes partiellement anéantie par le tremblement de terre d’avril 2009. Les places sont désertes, les immeubles aveugles et ruinés. Une ville à l’image de l’homme qui la filme : abandonnée. Comme dans tous ses films précédents, Pippo Delbono mêle l’actualité de tous à la sienne propre, familiale et privée, qui a priori n’intéresse et n’angoisse que lui. C’est pourtant par cet œilleton de l’intimité que Sangue ouvre sa focale jusqu’à l’élargir à un monde commun.

Margherita, la mère de Delbono, se meurt d’un méchant cancer. Le cinéaste va « documenter » sa longue et douloureuse agonie, de la chaise de la cuisine au lit de la chambre, de l’hôpital au funérarium. Il dit, au cas où le reproche moral d’un voyeurisme excessif surgirait : « La caméra est un œil objectif qui empêche que la douleur me transperce. »

Pippo Delbono transforme sa mama mourante en actrice bigote et retranchée d’une tragédie italienne quasi contemporaine : la terreur « révolutionnaire » exercée par les Brigades rouges au tournant des années 70-80.

Un survivant de cette période est aussi un ami de Pippo Delbono : Giovanni Senzani, chef historique des brigadistes, arrêté en 1982 et qui a passé plus de vingt-cinq ans en prison. Il parle peu mais, quand il s’exprime, voilà que surgit un long monologue où il détaille l’exécution d’un « traître à la cause ». Un récit glacé et glaçant qui vaut bien des fictions ou des analyses…

Pippo Delbono dit en voix off : « Parfois, je me demande s’il ne faudrait pas reprendre les armes… » Mais il se met aussi en scène dans une saynète sidérante : lui au volant faisant défiler sur son téléphone portable des photographies de Che Guevara, tandis que la voix électronique du GPS débite : « Restez à gauche, restez à gauche. » L’humour frappe à la porte, même si c’est celle d’un cimetière.

Et quand bien même échapperait la philosophie stoïcienne de ce film « qui raconte une histoire écrite par la vie », Pippo Delbono, de retour au final dans les ruines de L’Aquila, nous dit, bienveillant et superbe : « Personne ne peut échapper à la vie, même pas avec la mort. »

Gérard LEFORT « Libération » 24 juin 2014